Le cheminement du héros: Retour: 3. L'aide extérieure

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jlFromLannion
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Le cheminement du héros: Retour: 3. L'aide extérieure

Post by jlFromLannion »

Ce billet fait partie de ceux consacrés au cheminement du héros (billet d'introduction), dont les différentes étapes sont:

CHAPITRE I: LE DEPART
1.L'appel de l'aventure
2.Le refus de l'appel
3.Une aide surnaturelle
4.Le passage du premier palier
5.Le ventre de la baleine

CHAPITRE II: L'INITIATION
1.La route des épreuves
2.La rencontre avec la déesse
3.La femme comme tentatrice
4.Réconciliation avec le père
5.Apothéose
6.L'ultime récompense

CHAPITRE III: LE RETOUR
1.Le refus du retour
2.La fuite magique
3.L'aide extérieure
4.Le passage du palier du retour
5.Le maître des deux mondes
6.La liberté de vivre

Il fait suite au billet intitulé, "Le cheminement du héros: Retour: 2. La fuite magique"

The hero with a thousand faces, p.207
Pour revenir de son aventure surnaturelle, le héros doit parfois bénéficier d'une aide extérieure. Dans ce cas, le monde doit venir le chercher. Car la béatitude de cette retraite profonde n'est pas facilement abandonnée pour l'expérience d'éparpillement du soi qui survient quand on quitte cet état. "Qui s'étant détaché du monde", pouvons-nous lire, "pourrait souhaiter y retourner à nouveau? Il préfèrerait simplement demeurer ." Et pourtant, tant que l'on est en vie, la vie nous re-contacte. La société est jalouse de ceux qui restent à l'écart, et vient frapper à la porte. Si le héros, comme Muchukunda, est contacté contre son gré, le perturbateur reçoit un terrible choc; mais d'un autre côté, si celui qui est appelé n'est que temporairement retardé - retenu par la béatitude de l'état d'être parfait (qui ressemble à la mort elle-même) - un sauvetage effectif a lieu, et l'aventurier revient.
The hero with a thousand faces, p.210
L'un des plus plaisants et importants mythes de la tradition Shinto du Japon - déjà ancien quand il fut relevé au huitième siècle avant notre ère dans la "Chronique des Faits Anciens" est le mythe qui relate comment la magnifique déesse-soleil Amaterasu fut amenée à sortir de la grotte qui lui servait de retraite divine à un moment critique des premiers temps du monde. Cette histoire illustre le cas où celle qui est sauvée est quelque peu réticente à l'être. Le dieu-tempête Susanowo, le frère de Amaterasu s'était comporté d'une manière impardonnable. Et bien qu'elle ait essayé par tous les moyens de l'apaiser, et ait montré un pardon sans limite, il avait continué à détruire ses champs de riz et à polluer ses institutions. L'outrage final fut de faire un trou dans le plafond de sa salle de tissage et de faire tomber à travers un "cheval pie céleste qu'il avait écorché en retournant la peau", à la vue duquel toutes les suivantes de la déesse, occupées à tisser ses augustes vêtements, furent tellement effrayées qu'elles en moururent de peur.
Amaterasu, terrifiée par ce spectacle, se retira dans une grotte paradisiaque, ferma la porte derrière elle et la rendit infranchissable. Ce qu'elle fit était terrible de conséquence; car la disparition permanente du soleil aurait entraîné ni plus ni moins que la fin de l'univers, sa fin avant même qu'il ait pu proprement commencé. Suite à sa disparition, toute la plaine de la demeure des dieux, et toute la terre centrale des plaines de roseaux furent plongées dans l'obscurité. Des esprits mauvais semèrent la désolation à travers le monde. De nombreux présages de souffrance à venir apparurent. Et les voix de la myriade de déités se firent entendre, tel le bourdonnement des mouches lors de la cinquième lune.
En conséquence, les huit millions de divinités se rassemblèrent en une divine assemblée dans le lit de la tranquille rivière du territoire des dieux, et sollicitèrent l'un des leurs, une déité appelée Celui-qui-inclut-la-pensée, pour qu'il conçoive un plan.
Suite à cette consultation, de nombreuses choses à l'efficacité divine furent produites, dont un miroir, une épée et des offrandes de tissu. Un grand arbre fut préparé et décoré avec des pierres précieuses; des coqs furent amenés pour qu'ils maintiennent un tumulte perpétuel; des brasiers furent allumés; des liturgies grandioses furent récitées. Le miroir, de huit pieds de long, était attaché aux branches à mi-hauteur de l'arbre. Et une danse bruyante et joyeuse fut exécutée par une jeune déesse du nom d'Uzume. Les huit millions de divinités s'amusaient tellement que leurs éclats de rire remplirent l'air, et que la plaine de la demeure des dieux en fut ébranlée.
Dans la grotte, la déesse-soleil entendit le tumulte plein de vie et en fut stupéfaite. La curiosité la poussa à savoir ce qui se passait. Ouvrant légèrement la porte de sa retraite divine, elle se mit à dire de l'intérieur: "Je pensais que suite à mon départ, la plaine de la demeure des dieux serait plongée dans l'obscurité et que, de même, la terre centrale des plaines de roseaux serait plongée dans l'obscurité: comment se fait-il donc que Uzume se réjouisse, et que les huit millions de déités rient aux éclats?" Uzume parla alors, et dit: "Nous nous réjouissons et sommes heureux car existe une déité encore plus illustre que Votre Splendeur." Alors qu'elle parlait ainsi, deux divinités amenèrent le miroir et le montrèrent respectueusement à la déesse-soleil, Amaterasu; Sur ce, de plus en plus stupéfaite, elle s'approcha de la porte pour le contempler. Un dieu puissant prit son auguste main et la fit sortir; un autre, pendant ce temps, étira derrière elle,et de part et d'autre de l'entrée, un fil fait de paille (appelé shimenawa), et dit:"Vous ne devez pas vous retirer à nouveau au-delà de cette limite!" Sur ce, la plaine de la demeure des dieux, et la terre centrale des plaines de roseaux furent à nouveau illuminées. A présent, le soleil peut se retirer, pour un moment, toutes les nuits -ainsi que le fait toute vie, pour un sommeil réparateur-, mais par l'auguste shimenawa, elle est empêchée de disparaître pour toujours.
The hero with a thousand faces, p. 216
Ces trois exemples issus de zones culturelles très éloignées les unes des autres - Raven, Amaterasu, Inana -, illustrent cette aide venue de l'extérieur. Ils montrent, dans les phases finales de l'aventure, que la force surnaturelle qui assistait continue d'opérer, tout comme elle l'a fait pour l'élu tout au long de son épreuve. Sa conscience ayant succombé, l'inconscient fournit néanmoins son propre équilibre, et le héros re-naît dans le monde dont il est issu. Au lieu de se raccrocher à, et de sauver son égo, comme dans le motif de la fuite magique, il le perd, et cependant, par la grâce, est ramené.
Cela nous amène à la crise finale du cycle, de laquelle le périple tout entier n'a été que le prélude - celle, précisément, du passage paradoxalement extrêmement difficile du seuil, qui permet au héros de passer du royaume mystique, dans le monde de la vie de tous les jours. Qu'il soit sauvé par une aide extérieure, contraint de quitter ce royaume, ou tranquillement accompagné et guidé par des divinités, il lui reste encore à ré-intégrer, avec son présent, l'atmosphère oubliée depuis longtemps, où les hommes qui ne sont que des fractions s'imaginent être complets. Il lui reste encore à se confronter à la société avec son élixir qui dissout l'égo, qui re-nouvelle la vie, et à recevoir en retour des demandes de retour à la raison, un fort ressentiment, et de braves gens qui ne parviennent pas à comprendre.
L'étape suivante de ce cheminement est décrite dans le billet:
"Le cheminement du héros: Retour: 4. Le passage du seuil de retour"

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